Carnet noir : Le jour où Amobe Mevegue a été expulsé d’une fête nationale au Cameroun

Ce fut la ligne directrice de toute sa vie. Jusqu'à sa mort, Amobe Mevegue était connu pour son respect des coutumes africaines, et sa profonde fierté envers patrimoine de nos ancêtres. Toutefois, son attachement à certaines valeurs ne lui a pas toujours valu des fleurs. Suite à sa subite disparition, l’opinion se remémore ce jour où l’éminent journaliste a été chassé, par des caciques du régime de Paul Biya, à l’occasion d’une fête nationale.
Retour sur l’incident qui avait suscité de vives polémiques, en 2014, et qu’Amove Mevegue avait lui-même narré.
Lecture.

 

Comment je me suis fait virer de la fête nationale du Cameroun !

Il y a quelques jours, je reçois l’appel courtois d’une personne de l’ambassade du Cameroun me proposant, car regrettant de ne l’avoir fait plus tôt, de me faire acheminer un carton d’invitation pour la célébration de la fête nationale du Cameroun au pavillon Dauphine à Paris.

Ce à quoi, je réponds favorablement, car bien que de nationalité camerounaise il m’arrive souvent d’être invité dans de nombreuses cérémonies identiques données par les États africains.

À 18 heures précises, je me présente donc au lieu-dit, j’y salue plusieurs personnes, amis et connaissances et me dirige vers le service de protocole.

Ce dernier m’interpelle avec vigueur pour me signifier l’impossibilité pour moi d’entrer dans l’enceinte du pavillon ! Par courtoisie, je ne souhaite pas nommer les personnes qui s’opposent à mon entrée, pour éviter toute forme de polémique inutile.

Raison invoquée : « Votre habillement Monsieur, ne correspond pas au standing de nos invités » !

Je précise que comme à l’accoutumée, je suis paré d’étoffes africaines que je juge nobles. J’encaisse le coup, reste zen, parle avec courtoisie et feint d’être surpris, quelques personnalités connues passent, me saluent gênées, et pénètrent dans le lieu de tant de convoitises.

Un molosse me lance, « Monsieur allez vous changer, vous pourrez entrer » !
Je lui réponds que pour rien au monde, je ne changerai ma nature ! Qu’il me semblait hallucinant, que le jour d’une fête nationale d’un pays africain, le citoyen que je suis, souhaitant honorer ses ancêtres, chaque jour parce ce que c’est son choix, en portant les étoffes des peuples et des civilisations d’Afrique, se voit expulser pour non- conformité prétendue avec l’exigence de la fameuse locution « Tenue correcte exigée » !

J’aimerais savoir sur cette terre qui fixe les codes d’une tenue correcte ? Qui exige ? Qui ?

J’ose avancer que mes tenues africaines m’ont accompagné dans le monde entier, sur tous les continents à la rencontre des plus grandes personnalités.

Je m’entends dire que chaque nation à ses codes ! Lesquels donc, en résonance à quoi, à qui ?

Comble de l’ironie, je tente alors d’expliquer à mes détracteurs que 4 jours auparavant au même endroit, j’ai présenté avec des étoffes semblables, un gala devant le président Abdou Diouf, le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, l’ambassadeur du Sénégal, la procureure de la CPI – Cour pénale internationale, sans que cela ne suscite le moindre émoi.

Réponse du protocole : » Le Cameroun, c’est le Cameroun ! » Ne voulant susciter aucun esclandre, j’ai demandé à ce que Mr l’ambassadeur soit informé de mon départ, ayant refusé d’aller troquer mes « guêtres » pour des tenues plus « indiquées ».

La vie m’a donné la chance de visiter beaucoup de pays, et d’être reçu par les plus grandes autorités de ces derniers. Ma fierté était aussi souvent d’y arborer des tenues africaines de tous nos pays, parfois mêmes indiennes dont j’apprécie particulièrement le style. J’entends bien ricaner une certaine bourgeoisie africaine décomplexée à qui je rétorque, pourquoi pas si tel est mon choix.

Je n’impose pas à mes contemporains d’opter pour telle ou telle orientation vestimentaire, aussi je revendique le droit à assumer mes choix. Ne souhaitant faire aucun prosélytisme, je ne vois pas en quoi, un Obom du pays Béti, le Ndop du pays Bamiléké, le Bogolan du Mali et tant d’autres étoffes et chaussures léguées par nos ancêtres, seraient moins nobles que le costard cravate ou le smoking, pour celui qui en fait le choix ?

Il semble que ce mal qui s’apparente à une aliénation chronique soit plus profond en Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest. C’est ce que je constate avec dépit.
Nombreux sont les pays où les tenues et chaussures traditionnelles ont droit de cité dans les chancelleries !

Se faire éconduire pour une si ridicule raison me conforte dans l’idée de poursuivre cette forme de résistance à l’uniformisation de nos modes de vie.

Il se trouve que dans quelques jours, je serai l’un des invités d’honneur du festival ciné droit libre au Burkina Faso, aux côtés de l’ancien chef d’Etat Jerry Rawlings, croyez-moi, plus que jamais je serai habillé de la même sorte, « boubouifié » jusqu’aux dents !

Sans invective, je propose de lancer le débat sur ce thème qui selon moi en dit long sur les maux d’une certaine Afrique. Merci de réagir dans l’apaisement à cette histoire qui ferait sans doute rire un extra terrestre, celle d’un Africain chassé de la fête nationale de son pays, parce qu’il s’habillait librement comme ses ancêtres !

Viré de la fête nationale du Cameroun du pavillon Dauphine de Paris pour cause de « tenues non conformes au standing requis », alors que quelques jours auparavant, je présentais un gala dans le même pavillon Dauphine, avec les mêmes « tenues non conformes au standing requis » devant un ancien chef d’Etat, la représentante du président Macky Sall, le ministre français de l’Intérieur, de nombreuses personnalités….qui est fou ??