Port autonome de Douala : guerre de leadership entre Laurent Esso et Ferdinand Ngoh Ngoh
Un homme est au
milieu des deux pontes du régime de Yaoundé. Il s’agit de Lazare Atou,
propriétaire du cabinet éponyme. Il est au centre des ennuis judiciaires de
l’actuel patron du Port autonome de Douala.
Petit rappel, le 1er septembre 2021, la ministre déléguée à la présidence chargée
du Contrôle supérieur de l’État, Rose Mbah Acha, annonce qu’elle lancerait «
une mission spéciale de contrôle et de vérification » de la gestion du cabinet
Atou. Celle-ci portera sur les « actifs résiduels » de trois grandes
entreprises publiques liquidées dans les années 1990 : l’Office national de
commercialisation des produits de base (ONCPB), l’Office national des ports du
Cameroun (ONPC) et la Régie nationale des chemins de fer du Cameroun (RNCFC).
Ces structures étatiques ont disparu en abandonnant un
patrimoine qui est constitué d’immeubles bâtis et non bâtis au Cameroun et en
France. Un patrimoine estimé à plus de 104 milliards de francs CFA (plus de 158
millions d’euros) et géré depuis deux décennies par le cabinet fondé par Lazare
Atou. Un homme inconnu du grand public camerounais, mais si puissant qu’il
tient tête au secrétaire général de la présidence (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh.
Accusations mensongères
De source bien introduite, l’audit voulu par Rose Mbah Acha,
n’est pas le premier du genre. En effet, une équipe du même ministère, tenue
par cette magistrate proche du SGPR, a déjà travaillé pendant six années
consécutives sur le cabinet Atou, tentant d’en contrôler l’activité. Son
rapport a été adressé au Tribunal criminel spécial (TCS), où il est en cours
d’instruction. Lazare Atou affirme déjà qu’il est « truffé d’accusations
mensongères ».
Toujours à l’offensive, Ngoh Ngoh a également saisi la
primature, le 2 juin dernier, pour qu’une structure indépendante audite le même
cabinet. Dans son courrier au chef du gouvernement, le SGPR a rappelé que le
président Paul Biya a demandé au ministre des Finances, Louis-Paul Motaze, de
mettre fin « sans délai » au mandat de liquidateur qui avait été confié à Atou.
Abah Abah
« Deux des prédécesseurs de Motaze, Polycarpe Abah Abah et Emmanuel Essimi Menye, se sont eux aussi cassé les dents sur ce dossier, tout comme plusieurs ministres des Domaines et des Affaires foncières. En 2007, Lazare Atou a même effectué une brève garde à vue à la suite d’une plainte d’Abah Abah. Soupçonné d’avoir vendu des biens dont il était censé assurer la sauvegarde, le liquidateur a été jeté en cellule un vendredi à 15 heures. Sur ordre du ministère de la Justice, il sera finalement libéré à 22 heures. Mais comment cet huissier en attente de charge parvient-il à résister à ces attaques répétées ? », note le journal panafricain Jeune Afrique.
Selon le journal panafricain, le parcours de Lazare Atou, ne le prédestinait pas à exercer une telle influence. Pourtant, quand ses confrères survivent dans la précarité, lui va vite et voit loin. Il s’est d’abord proposé comme « notificateur » auprès de la commission de liquidation mise en place pour débarrasser l’État de ses plus gros canards boiteux. Le processus terminé, le « garçon de course » s’est retrouvé sans emploi. Mais la question du patrimoine de ces entreprises, laissé à l’abandon, reste à régler. Atou propose alors d’en assurer la surveillance et la sauvegarde. De commis, il se retrouve ainsi titulaire d’un mandat aux pouvoirs proches de celui d’un liquidateur.
TCS
Il fonde alors un cabinet d’expertise comptable et d’audit, même si son nom n’apparaît pas sur le tableau de l’ordre national des experts comptables et même si ses activités s’apparentent davantage à celles d’un gestionnaire de patrimoine. Il se bat devant les tribunaux pour récupérer les biens immobiliers des entreprises concernées, que les ministres des Domaines et des Affaires foncières successifs ont tentés d’aliéner. Aujourd’hui, on le dit proche du tout-puissant ministre de la Justice, Laurent Esso. Quant à Louis-Paul Motaze, il veille à ne pas marcher sur ses plates-bandes…
« Fort de ses soutiens, Atou croise aujourd’hui le fer avec Cyrus Ngo’o, le directeur du Port autonome de Douala (PAD), qu’il a dénoncé auprès du TCS. Ce dernier, un familier de Ferdinand Ngoh Ngoh, a été auditionné le 18 août dernier comme témoin dans l’affaire Porsec SA. Il s’agit d’un marché public spécial portant sur la sécurisation du périmètre et du contrôle des accès du port de Douala attribué par le SGPR à cette entreprise – inconnue jusque-là – en dehors de tout appel d’offres. Initialement financé à hauteur de 25 milliards de F CFA, l’ouvrage, qui devait être livré en avril 2020, n’est toujours pas finalisé », ajoute Jeune Afrique.
Cyrus Ngo’o
Plus grave, d’avenant en avenant, le coût du marché s’élève
désormais à une cinquantaine de milliards de F CFA. Mis sous pression par les
banques exigeant des garanties supplémentaires, le PAD a donc tenté de
récupérer les possessions immobilières de l’ONPC, dont le patrimoine résiduel
est géré par l’intrépide Atou. Ce dernier s’est opposé à cette aliénation,
notamment par la dénonciation devant le TCS du contrat Porsec SA. Mais ceux qui
ont prédit la prison à Cyrus Ngo’o vont devoir attendre. De toute évidence,
Paul Biya a sifflé la fin de la partie, arbitrant en faveur d’un match nul
entre le ministre de la Justice et le secrétaire général de la présidence.