Racisme dans le foot : « Les gens me battaient et disaient ‘’ rentres dans ton Afrique ‘’ » Claude Maka Kum

 

L’international camerounais Claude Maka Kum est revenu sur ses débuts difficiles dans le milieu du football. Comme bon nombres de ses congénères africains, il a été confronté aux histoires de racisme, malheureusement encore très présentes dans le sport.

 

Dans une interview exclusive, le footballeur Claude Maka Kum raconte tous les déboires qu’il a surmontés avant de réaliser son rêve dans le foot.
Entre escroquerie et racisme, le Cameroun en a vie de toutes les couleurs.

Claude Maka Kum vit aujourd’hui dans la banlieue de Lausanne avec son épouse suisso-camerounaise, sa fille et l’accent du pays. De quoi embellir sa palette phonétique, lui qui parle encore aisément le russe.

 Lecture :

 

Né au Cameroun au milieu des années 1980, Claude s’est fait embrigader par  agent de football à Moscou  où il s’est retrouvé avec vingt autres Camerounais dans un appartement de trois chambres. Sans club. Et sans agent, qui a disparu.

Pour survivre, il distribue alors des tracts et accepte de se faire toucher le corps et les dents par les élèves russes d’une école privée. Par un heureux hasard, il se retrouve finalement au Kirghizistan où il finit par obtenir la nationalité pour porter le maillot de l’équipe nationale. Mais l’attachement est uniquement sportif. « C’était juste pour ma carrière, point barre », dit-il.

En ce début d’après-midi, dans le salon de son bel appartement au mobilier moderne et coloré, le trentenaire s’apprête à se replonger dans son incroyable parcours de footballeur, des quartiers de Douala aux steppes du Kirghizistan en passant par le métro moscovite. Une vie aux quatre coins du monde qui lui a conféré une identité d’aventurier, mais qui a surtout modifié son rapport à l’argent. Interview.

Jeune Afrique : D’où êtes-vous originaire au Cameroun ?

Claude Maka Kum : De Bomono Ba Jedu, un village situé à vingt-cinq minutes de route de Douala, la capitale économique. Je viens d’une famille de classe moyenne. J’ai décidé d’arrêter mes études pour pratiquer le football quand j’ai vu que beaucoup d’amis avaient pu quitter le Cameroun alors qu’ils étaient moins bons que moi. Ça m’embêtait, mais je m’étais juré de ne jamais payer pour aller jouer à l’étranger : si un club s’intéressait à moi, c’est lui qui devait s’occuper de tout. Puis j’ai fini par tomber dans le piège. Vers mes 20 ans, peu de temps après le décès de mon père, un cousin m’a appelé pour me proposer de le rejoindre en Russie, où il disait jouer au foot.

 

Avez-vous été mis en contact avec un agent ?

Oui, un certain Alain Niem, qui se disait détecteur de talents auprès des clubs de Douala. Je lui ai fait confiance, convaincu par ma mère et surtout par mon cousin que je croyais sur parole vu qu’il avait un bon niveau. La tactique d’Alain Niem était simple : il demandait de l’argent, créait de fausses invitations de clubs russes, se débrouillait pour obtenir des visas puis empochait l’argent. Ma mère m’a prêté 1 500 dollars et je suis parti avec quatre autres joueurs du Cameroun vers Moscou.

Comment s’est passée l’arrivée en Russie ?

C’est « Bissong », un doyen camerounais, qui nous a accueillis à l’aéroport : il avait fait ses études en Russie donc il parlait bien la langue. Il nous a directement amenés dans un établissement cinq étoiles. C’était étrange que l’on n’ait pas directement rencontré les membres des clubs qui nous invitaient, mais j’avais une grande chambre et une télévision. C’était le rêve. Après trois jours, la réception nous a demandé de libérer nos chambres. On a montré notre visa sur lequel était inscrite notre invitation par le FC Moscou. L’hôtel a fait venir le manager du club sur place. Il a sorti la liste des joueurs qu’il attendait, aucun de nous n’y figurait… Il a été bienveillant et a payé notre facture, mais on s’est retrouvés à la rue. C’est là qu’on a compris qu’Alain n’avait pas de contacts, rien du tout. Un escroc.



CERTAINS DE MES PARTENAIRES ONT MÊME FAIT DE LA PROSTITUTION AUPRÈS DE VIEILLES DAMES

Et votre cousin ?

Je l’ai eu au téléphone pour lui demander des comptes, il m’a répondu qu’il avait un business à Rostov et qu’il allait bientôt revenir à Moscou. Je ne l’y ai jamais vu. Après l’hôtel, on a pris le métro avec nos valises. C’était le début de l’été, mais on avait nos vestes d’hiver, les gens rigolaient. C’est là que j’ai vu deux filles s’embrasser pour la première fois de ma vie. On s’est rendu à l’université Patrice Lumumba où des doyens camerounais nous ont hébergés en cachette pendant quelques jours. Je ne parvenais pas à dormir, je n’arrêtais pas de me demander pourquoi j’étais venu là. On mentait à nos familles au téléphone parce qu’on avait peur de leur dire qu’il n’y avait pas de football pour nous en Russie, on ne voulait pas leur faire de mal. Mais du coup, ça a convaincu d’autres familles d’envoyer leur fils… souffrir là-bas. On s’est rapidement cotisé pour louer un appartement.

Aviez-vous des économies ?

Oui, chacun avait reçu un peu d’argent de sa famille, j’avais environ 700 dollars et chaque mois, on devait donner 100 dollars pour l’appartement. Il n’y avait aucun meuble, rien qu’un vieux tapis. On a été rejoints par une dizaine d’autres Camerounais dans la même situation que nous : on était 17 à dormir à même le sol, dans deux chambres. La journée, on faisait du footing et un peu de jonglage avec un ballon. Un jour, deux jours, un mois, trois mois… ça passe vite.

Quand l’hiver est arrivé, j’ai été obligé de dire la vérité à ma mère. Mais je n’avais pas envie de rentrer au Cameroun et d’être vu comme un « loser ». Donc j’ai travaillé. J’ai distribué des journaux ou des flyers pour des entreprises de meubles et de boissons dans le métro. Je me suis retrouvé une fois ou l’autre au poste de police après m’être battu avec des gens qui me disaient de rentrer dans « mon Afrique ».

 

Comme il fallait à tout prix qu’on gagne de l’argent, les doyens de l’université nous ont amenés dans des établissements scolaires pour parler de notre culture, montrer nos dents… faire le singe ! On n’avait pas le choix : certains de mes partenaires ont même fait de la prostitution auprès de vieilles dames. C’est dingue ce que les mecs étaient prêts à faire tellement ils étaient désespérés. Ils ont tous fumé de la drogue. Moi, j’étais plus intelligent, donc on m’a surtout proposé de la vendre. J’ai refusé. J’étais venu pour le foot, point. Au total, je suis resté près de deux ans en Russie.

Comment vous êtes-vous retrouvé au Kirghizistan ?

C’est lors d’un championnat de foot en salle entre amis qu’un homme est venu me parler : c’était un agent, il m’a donné rendez-vous le lendemain pour faire un test avec un club local. J’y ai retrouvé un colocataire camerounais qui s’entraînait là-bas depuis longtemps mais qui ne nous disait rien de peur de perdre sa place. Quelques jours plus tard, l’agent est venu me voir à l’appartement et m’a proposé de partir au Kirghizistan rejoindre une équipe professionnelle championne en titre.