Polycarpe Essomba, journaliste de la RFI tabassé par les forces de l’ordre : ‘’ Ils m’ont fait le reproche d’être celui qui ternit l’image du Cameroun à l’étranger ‘’
Suite aux
manifestations qui ont eu lieu le 22 septembre 2020, plusieurs voix se sont
soulevées pour dénoncer les violences subies par les hommes de presse venus
couvrir l’événement.
Parmi les victimes des exactions des forces de l’ordre, le journaliste de Radio France Internationale Polycarpe Essomba.
Dans une interview accordée au quotidien Mutations,
livraison de ce 24 septembre 2020, le journaliste de Radio France
Internationale (RFI), Polycarpe Essomba, raconte comment il a été sérieusement
tabassé, alors qu’il couvrait les marches pacifiques initiées par l’opposant
Kamto.
Voici intégralité de son interview
Vous avez été arrêté et molesté par la police le 22
septembre alors que vous couvriez les marches organisées par le MRC.
Que s’est-il passé ?
Ma rédaction et moi avions convenu que j’allais couvrir.
Donc, la veille j’avais pris l’angle avec le confrère de l’Agence française
presse (Afp). On allait collecter ensemble et nous avons fixé un point de
rencontre et avons commencé la collecte. Le point de rencontre était le
lieu-dit « Siantou Nkoldongo ». Nous y avons garé nos véhicules et ensuite nous
sommes descendus à la Poste centrale à pieds. Nous sommes par la suite revenus
à nos véhicules et avons fait le tour de la ville pour voir à nouveau le
dispositif sécuritaire. Quand nous sommes allés au domicile de Maurice Kamto,
on a été interpellé une première fois devant l’entrée qui mène à son domicile,
à Santa Barbara.Ensuite nous avons été informés de ce qu’il y aurait des
manifestations à Biyem-Assi. Nous y sommes allés. Pendant qu’on y était nous
avons reçu une autre information selon laquelle il y aurait des échauffourées
au marché d’Etoudi. A notre arrivée sur les lieux autour de 12h45, nous avons
trouvé des dispositifs de police et gendarmerie qui avaient quadrillé tout le
marché. Et moi je devais faire un direct dans le 13h30 du journal Afrique de
Rfi. Alors que l’endroit était très bruyant, j’ai cherché un coin calme pour
apprêter mes textes. Je suis donc allé voir un jeune homme qui est propriétaire
d’un salon de coiffure et avec sa permission, j’ai pu y travailler.
C’est que là que vous êtes interpellé…
Pendant que je m’y trouve, je vois entrer un monsieur
corpulent en civil, qui demande à m’identifier. Etonné, je lui demande «
pourquoi » ? Il est ressorti immédiatement et est revenu accompagné de
policiers. Ils ne semblaient pas surpris et leurs propos laissaient entendre
que j’étais recherché. « C’est précisément lui qu’on cherche », lançait l’un
d’eux. J’étais très surpris par leurs propos. La seule chose que j’ai dite a
été de demander ce que j’avais fait. Après avoir reçu un coup dans la nuque,
mes collègues de l’Afp et moi avons été poussés brutalement là où était garé le
pick-up. Pendant quelques minutes, nous avons été torturés. Ils nous ont fait
asseoir à même le sol, ont confisqué nos téléphones et tous nos outils de
travail. C’est bien après qu’on a pris la route pour le poste de police.
Combien de personnes ont été embarquées avec vous ?
Il y avait un photographe, un journaliste de l’Afp et
moi. Egalement d’autres personnes interpellées pour des raisons que j’ignore.
Mais nous avions déjà été identifiés comme des journalistes. Nos pièces
également ont été confisquées et des menaces ont suivies. Arrivée au poste de
police d’Etoudi, les menaces n’ont pas cessé. Après une autre identification,
nous avons de nouveau été embarqués dans une autre voiture de police. Mais,
cette fois, en direction du commissariat central N°1. Le divisionnaire qui nous
a reçus, a dit de séparer les journalistes des autres personnes. Le commissaire
à qui nous avons été confiés devait nous entendre et exploiter les documents de
travail, notamment, mon texte que j’avais rédigé et que je n’ai pas pu rendre à
cause de mon arrestation.Je n’ai même pas eu le temps de prévenir de mon
indisponibilité pour le direct que j’étais censé faire. Nous avons encore fait
une heure là-bas. La nouvelle arrive dans le bureau du commissaire que le
délégué général à la Sureté nationale (Dgsn) a instruit qu’on nous libère,
excluant toute autre forme de procès. Sur ce, nous avons pu récupérer nos
outils et partir.
Pourquoi avez-vous été arrêtés ?
Je ne sais pas. Au moment de l’interpellation ils m’ont
fait particulièrement le reproche d’être celui qui ternit l’image du Cameroun à
l’étranger. « Qui nous a informé de ce qu’il y avait manifestation ? Pourquoi
on se trouve dans l’obligation de couvrir une manifestation interdite ? »
Telles sont les questions qui nous étaient posées. Il n’y a eu aucune réponse
parce que le rapport de force était déséquilibré.